Celui qui embrasse la joie dans son vol
Vit dans le soleil levant de l'éternité.
Willliam Blake
Dans la Maison de Lazare
Nous partîmes, Nicodème et moi, à la tombée de la nuit pour la maison de Lazare à une heure de marche de Jérusalem sur la route de Jéricho. Nous devions y rencontrer un jeune prophète qui rassemblait les foules de Judée avec ses prédications.
Le matin même, il avait violemment chassé les marchands du Temple. Bousculant les tables des échangeurs de monnaies, il était allé jusqu’à prendre une corde pour fouetter les vendeurs de bétail. Voilà qui avait fortement contrarié les pharisiens et leur grand prêtre Caïphe qui profitaient de cette situation pour prélever directement la dime sur ce commerce.
Membre du Sanhedrin, le conseil de Jérusalem, Nicodème voulait en savoir plus sur celui qui se proclamait le Fils de l’Homme, en référence au Messie du Livre de Daniel. Il était inconnu à Jérusalem. On le disait originaire de Nazareth mais d’aucuns disaient qu’il avait passé une partie de sa vie dans les contrées lointaines de l’Orient au-delà des montagnes du Pays des Mages.
Nous fûmes accueillis par les deux sœurs de Lazare, Marthe et Marie. Deux disciples du Nazaréen, Nathanael et Philippe étaient attablés et finissaient leur dîner. Lazare nous présenta et spontanément, sans en avoir eu l’intention préalable, nous nous inclinâmes devant ce jeune prophète qui rayonnait de tant magnétisme et de gravité. Il était imposant… son regard semblait pénétrer au plus profond de mon âme ce qui me troublait. Et puis, j’étais ému sans trop savoir pourquoi. Le moment avait cette solennité des grandes étapes de la vie comme la cérémonie du bar-mitzvah à l’adolescence ou le passage devant le Grand Prêtre lors des vœux du mariage. Mais plus encore que cela : l’atmosphère avait un caractère sacré que je n’avais jamais connu jusqu’alors, même dans le Temple de Jérusalem. L’air semblait plus dense et un parfum de rose embaumait la pièce. Tout était sérénité… Je voyais que Nicodème restait quoi, n’osant commencer à engager la discussion. J’avais l’impression qu’il ressentait une gêne à rompre ce silence religieux qui semblait rayonner de ce jeune prophète. C’est lui qui commença en se présentant :
Je suis Jésus Christ, le fils de Marie.
Malgré son regard imposant et sa voix profonde et grave, son attention envers nous était simple, joviale et accueillante. Mon trouble intérieur, ce sentiment d’avoir mon âme mise à nue, se dissipa peu à peu. Je me sentais à la fois totalement présent comme totalement absent de la scène… J’entendis Nicodème lui répondre :
Oui, nous le savons !
Tu es un maître venu de Dieu
car tu fais tous ces miracles !
Nicodème retrouvait peu à peu sa contenance de notable et il demanda :
Rabbi, qu’est-ce que le Royaume de Dieu
et cette Seconde Naissance qui en ouvre la Porte ?
Quant à moi, j’espérais qu’il en dirait plus sur l’Esprit Saint qui était apparu sous la forme d’une colombe lorsqu’il avait été baptisé sur les bords du Jourdain. C’est ce que l’on racontait en tout cas, mais seuls l’ermite Jean Baptiste et quelques enfants virent la colombe se poser sur la tête du jeune prophète. Des femmes avaient déclaré avoir vu un rayon de lumière venir du ciel et se poser sur sa chevelure, créant un halo doré.
Jésus répondit à Nicodème :
À moins de naître d’en-haut,
personne ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.
À ce moment, je pensais :
Fait-il référence à ce même rayon qui l’avait illuminé d’en-haut ?
Que peut donc signifier, sinon, naître d’en-haut ?
Nicodème demanda alors :
Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ?
Doit-il entrer de nouveau dans le ventre de sa mère ?
Ce à quoi Jésus répondit :
En vérité, je te le dis, personne,
à moins de naître de l’Eau éternelle et de l’Esprit,
ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.
Ce qui est né de la chair est chair,
et ce qui est né de l’Esprit est … Esprit.
Et Il ajouta, ce qui devint de plus en plus énigmatique :
Le vent souffle où il veut et tu le ressens,
mais tu ne sais pas d’où il vient et où il va.
Il en est ainsi pour toute personne née de l’Esprit.
Au-delà du mystère de ses paroles, j’eu l’intuition qu’Il évoquait désormais l’Esprit-Saint, le souffle sacré qu’avait ressenti Ézéchiel en présence de l’Éternel. À ce moment je vis Marthe poser sa main sur le haut de sa tête et la lever quelque peu au-dessus. Je sentais moi-même un léger souffle parcourir la pièce. Je vivais une grande sérénité intérieure, ce qui était surprenant après ce mal-être du début.
Nous ne devions plus tarder à quitter Béthanie pour rentrer à Jérusalem, car la Porte d’Éphraïm de la cité fermerait peu de temps après le passage de la lune. Après les salutations habituelles, nous quittâmes les lieux.
Au-dehors, le vent soufflait par rafale, et je me demandais si ce n’était pas la raison de ce courant d’air que j’avais si bien senti dans la demeure de Lazare. Nicodème ne parlait plus. Ses pupilles brillaient sous le clair de lune.
Gamaliel