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Sélection de poèmes de Kabîr extrait du recueil Granthavali 
Traduction : Charlotte Vaudeville

Voici venue,

Ô frères et sœurs du Destin,

La tempête de la Sagesse Spirituelle.

I

Mets à ton coursier

Le mors et la bride,

Et enlève-le tout

Sellé et harnaché vers le ciel !

Enfourche

La monture de tes pensées,

Et place ton pied

Dans l’étrier de l’Absolu.

 

Allons !

Je t’emmène au Paradis,

Et si tu bronches,

Je te frapperai

Du fouet de l’Amour !

 

« Ceux-là sont bons cavaliers »,

dit Kabîr.

 

Qu’ils se gardent

Des Védas et du Coran.

II 

Le Nom de Dieu, voilà ma richesse,

Je ne la serre pas dans ma poche,

Et ne la vends pas pour manger !

 

Ton Nom est mon champ,

Ton Nom est ma maison,

Je T’adore, et prends refuge en Toi.

 

Ton Nom est mon offrande,

Ton Nom est mon culte,

Je ne connais nul autre que Toi.

 

Ton Nom est ma famille,

Ton Nom est mon frère :

Au dernier moment,

C’est Lui qui me viendra en aide.

 

Je me suis emparé de Ton Nom

Comme un pauvre s’empare d’un trésor.

« Comme un mendiant reçoit l’aumône ! »,

            Dit Kabîr.

III

Dans le firmament se distille

L’Élixir de l’Amour.   

 

Le vase de mon corps

Est comblé de l’ambroisie.

 

Celui qui a découvert la vraie sagesse

Est enivré de l’Absolu.

 

Il s’est abreuvé

De l’Élixir de Dieu.

 

Depuis, j’ai trouvé

Le Sommelier de l’Absolu,

 

Joyeusement,  

Je m’enivre chaque jour.

 

J’ai reconnu l’Absolue Pureté

Et je l’ai introduite dans mon âme.

 

Alors,

« J’ai accédé à l’Expérience »,

dit Kabîr

IV

Voici ce que je suis devenu

Comme un poisson tiré de l’eau

Pour m’être enorgueilli

De l’ascétisme de ma vie passée !

 

En ce temps-là, j’avais l’âme d’un ermite

J’avais abandonné le monde et ma famille

Pour m’attacher à Dieu…

J’avais abandonné Bénarès,

Fou que j’étais !

 

Ô Seigneur de mon âme,

Dis-moi, que deviendrai-je ?

Suis-je un mauvais serviteur,

Ou est-ce Toi qui m’oublies ?

Ô Bien-Aimé,

De nous deux, qui est le coupable ?

 

Voici ce que je suis venu chercher :

Le refuge à tes Pieds !

Du monde, je ne vois plus rien.

Ma vue est immergée sur tes Pieds.

 

Vois, je suis venu chercher ton abri.  

Ton serviteur Kabîr n’a plus d’espoir…

… qu’en Toi.

V

Dans le lac du corps,

Fleurit un Lotus merveilleux,

Où demeure la Lumière suprême,

L’Absolu sans-limite et sans-forme.

 

Ô mental, renonce à l’erreur !

Adore Dieu, la Vie du monde.

En ce monde, on ne voit rien venir,

On ne voit rien partir :

Là où les corps apparaissent,

Ils disparaissent

Comme des feuilles de lotus !

 

Comprenez la fausseté de ce monde,

Rejetez-le et méditez sur l’Absolu :

 

« Servez le seigneur Dieu

Qui demeure en vous ! »,

            dit Kabîr

VI

Le Seigneur seul est vrai,

Le Créateur est dans la Création,

Non dans une idole azurée !

 

La Rivière au milieu du Ciel

C’est là qu’il se baigne.

Sur Lui, médite sans cesse,

Et tu le trouveras partout.

 

Allah est infiniment pur,

Mais si je doute, Il m’apparaît divinisé.

Dit Kabîr :

« Les œuvres du Très-Clément,

Lui seul les connait. »

VII

Kabîr, l’esprit est devenu une abeille,

Et a trouvé une demeure éternelle,

Ce lotus qui fleurit sans eau,

Seuls les intimes peuvent le contempler !

 

Le Lotus s’est épanoui au fond de l’âme,

Là où le Brahman fait sa demeure,

Là où l’abeille de l’âme est attirée.

Seuls quelques rares dévots le comprendront !

 

Il n’est pas d’océan sans coquillages

Ni de pluie de Svâti sans gouttelettes.

Kabîr, la Perle germe dans cette forteresse

Qui a le Vide pour sommet.

 

Dans le corps même,

L’Inaccessible est obtenu,

Dans l’Inaccessible, un accès,

 

« J’ai accédé à l’Expérience,

Quand le Gourou m’a montré la Voie. »

VIII

Je suis ton esclave, Ô seigneur, 

Tu peux vendre mon corps et mon âme,

Et tous mes biens : tout est à Toi !

 

Tu as amené Kabîr sur le marché

Et Tu m’as livré au plus offrant…

Tu es Toi-même

Le Vendeur et l’Acheteur !

 

Si Tu me vends,

Ô Ram, qui me gardera ?

Si Tu me gardes,

Ô Ram, qui me vendra ?

 

« Je me suis consumé corps et âme »,

            dit Kabîr,  

Et je n’ai plus quitté mon Maître

… un seul instant.

IX

Ô Ram, à Ayodhya,

Je ferai tous les métiers,

Immergé dans l’Absolu,

Et je ne craindrai plus la Mort !

 

Je me ferai potier

Et fabriquerai des vases d’argile,

Je me ferai blanchisseur

Et laverai toute souillure ;

Je me ferai tanneur

Et je teindrai les peaux,

Au prix de ma caste

Et de mon honneur !

 

Je serai fabriquant d’huile

Et mon corps sera le pressoir

Puis je moudrai mes mérites

Ensemble avec mes péchés !

Je mènerai bien droit mes cinq bœufs

En les liant au joug de Ram.

 

Je me ferai capitaine

Et manierai l’épée.

Puis je pratiquerai tous les exercices

De l’âme et du corps.

Je me ferai barbier

Et je raserai le mental,

Je me ferai charpentier

Et je scierai le karma !

 

Je me ferai ascète,

Et je maitriserai mon corps,

Je me ferai chasseur

Et l’Esprit sera mon gibier,

 

Je me ferai marchand

Et je vendrai de la Réalité

Je me ferai joueur,

Et je battrai la Mort au jeu !

 

Je ferai de mon corps la barque

Et le mental le batelier.

Ma langue sera l’aviron.

 

« Ainsi je traverserai

L’Océan de l’Existence »,

            dit Kabîr.

 

Moi-même je serai sauvé

Et mes ancêtres avec moi.

X

J’étais venu dans le monde

Pour contempler toutes les formes.

 

Devenu Saint, j’apercevais l’Incomparable.

Étreignant l’Absolu de tous ses membres,

Mon esprit n’en fut pas stabilisé pour autant.

 

« Comment parler d’Union,

Quand les corps sont distincts ? »

            dit Kabîr.

 

J’ai trouvé la Vérité, j’ai connu la Joie

Et la rivière de mon âme en fut remplie.

 

Toutes mes souillures se sont effacées

Avec la Présence du Seigneur.

 

Quand il n’y avait ni terre, ni ciel,

Ni air, ni eau, ni lumière,

Alors il n’y avait que Dieu.

Telle est la pensée de Kabîr.

 

Quand il n’y avait ni Création,

Ni foire, ni pacotille,

Alors, il n’y avait que Kabîr,

Serviteur de Ram,

Qui contemplait le monde

Visible et invisible.

XI

Kabîr, adore Dieu et abandonne

Le goût et la saveur des sens.

Tu ne retrouveras pas plusieurs fois

L’heureuse chance d’une naissance humaine.

 

Kabîr, ce corps s’en va,

Si tu peux, fais-le donc rester !

Adonne-toi au service des saints,

Ou chante les louanges de Dieu.

 

Kabîr, ce corps s’en va,

Si tu peux fais le revenir !

Ceux qui étaient riches à millions

Sont partis les mains vides.

 

Ce corps est un pot de terre crue,

Qui reçoit des coups de tous côtés.

Sans le Nom de Dieu,

Il finira par être anéanti.

 

Ce corps est un pot d’argile crue

Qu’on a emmené avec soi en promenade.

Il a reçu un coup et s’est brisé,

Et rien n’est resté dans la main !

 

Ne te livre pas à de vaines agitations,

Jour après jour la maladie te consume,

Dieu a pris la saveur de Kabîr :

Sers-toi de ce remède-là.

XII

Si vous savez le reconnaître

Comme l’Unique, alors vous savez tout.

Mais si vous ne savez pas

Le reconnaître comme l’Unique

Toute votre science n’est qu’ignorance.

 

Si vous ne savez pas reconnaître l’Unique

À quoi bon tant savoir ?

De l’Unique vient le multiple,

Mais l’Unique ne vient pas du multiple !

 

Tant que la Dévotion n’est pas désintéressée,

Le culte est vain.

Comment l’âme pourrait-elle rencontrer

Son Seigneur qui est Amour pur ?

 

Le seul espoir est en Dieu,

Tout autre espoir n’est que désespoir.

Si l’esprit s’attache à l’Unique

Il est délivré de sa faiblesse.

 

Kabîr est venu dans ce Kali Yuga

Et il a fait bien des amis.

Mais du jour où il s’est attaché à l’Unique,

Il dort en sécurité.

XIII

Celui que j’étais allé chercher,

Je l’ai trouvé dans ma maison.

Et Celui-là est devenu moi,

Que j’appelais autre !

 

Kabîr n’en a vu qu’une partie,

Et ce qu’il a vu est ineffable,

La Vision du Seigneur

Est l’abandon resplendissant.

Elle est restée enfouie dans ses yeux.

 

Dans les eaux pleines du Manasovara,

Les cygnes se jouent :

Ils recueillent les perles du Salut.

Désormais, ils ne s’envoleront plus ailleurs.

 

La voute du ciel gronde,

L’ambroisie est distillée,

Le bananier et le lotus fleurissent,

Là-haut, Kabîr a son culte,

Et quelques serviteurs.

 

Sans fondations, le temple,

Sans corps, le Dieu :

C’est là que Kabîr a fait sa demeure

Et s’adonne au culte de l’Invisible.

 

La porte de ce temple est aussi étroite

Qu’un grain de moutarde.

À l’intérieur les feuilles,

À l’intérieur l’eau,

À l’intérieur le pujari !

 

Kabîr, le Lotus a fleuri,

Un soleil très pur s’est levé.

Les ténèbres de la nuit se sont dissipées,

La trompette de l’Anahad résonne.

 

Le son de l’Anahad retentit,

La cascade coule,

La Connaissance du Brahman germe,

Le Non-manifesté se manifeste au fond de l’âme :

L’Amour jaillit dans la Contemplation.

XIV

La demeure de Kabîr est sur le faîte,

Le chemin est glissant et escarpé,

La fourmi ne peut y passer,

Et les gens chargent les bœufs !

 

Là où la fourmi ne peut passer,

Où le grain de moutarde ne peut se poser,

Là que le vent et l’esprit ne peuvent atteindre,

Là il est parvenu !

 

Kabîr, le chemin est abrupt,

Et les ascètes, lassés, ont renoncé.

Là-haut Kabîr est parvenu,

En s’appuyant sur le témoignage

Du Sat-Gourou

 

Dieux, hommes et ascètes

Sont restés en panne,

Nul n’est arrivé au bout du chemin :

Kabîr a bien de la chance :

Là-haut, il a bâti son toit.

Et il demeure !

XV

 

Les dévots de Dieu se jouent

Sous forme de cygnes :

Ils picorent le Nom du Très-Pur,

Et étendent le bec pour en recueillir les perles,

Ils restent silencieux

Ou ils chantent la louange divine…

 

Ils ont pris leur demeure au bord du Lac spirituel,

Leur âme est attachée aux pieds de Râm,

Indifférente au reste,

Le corbeau de l’orgueil ne les approche pas,

Chaque jour, les cygnes contemplent la Vision.

 

Ceux qui savent séparer l’eau du lait,

Ceux-là sont mes dévots, dit Kabîr.

XVI

Le feu brûlant de Maya

S'est éteint.

 

Mon esprit est radieux

Dans le Nom de Dieu.

 

Lui, le Seigneur et le Maître,

Imprègne toute la nature. 

 

Où que je regarde, se trouve

Le Savant de l’Intérieur,

Le Chercheur des cœurs.

 

Il a Lui-même implanté

Le pouvoir de la vénération en moi.

 

Par un destin préétabli,

Je le rencontre.

 

Ô mes frères et sœurs du Destin, 

Avec sa grâce, nous sommes comblés.

 

Le Seigneur et Maître de Kabîr

Est le sauveur des démunis.

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