Celui qui embrasse la joie dans son vol
Vit dans le soleil levant de l'éternité.
Willliam Blake
Zola
Extrait du roman : La Débacle
Jean eut une sensation extraordinaire. Il lui sembla, dans cette lente tombée du jour, au-dessus de cette cité en flammes, qu’une aurore déjà se levait. C’était bien pourtant la fin de tout, un acharnement du destin, un amas de désastres tels, que jamais nation n’en avait subi d’aussi grands : les continuelles défaites, les provinces perdues, les milliards à payer, la plus effroyable des guerres civiles noyée sous le sang, des décombres et des morts à pleins quartiers, plus d’argent, plus d’honneur, tout un monde à reconstruire ! Lui-même y laissait son cœur déchiré, Maurice, Henriette, son heureuse vie de demain emportée dans l’orage. Et pourtant, par-delà la fournaise, hurlante encore, la vivace espérance renaissait, au fond du grand ciel calme d’une limpidité souveraine. C’était le rajeunissement certain de l’éternelle nature, de l’éternelle humanité, le renouveau promis à qui espère et travaille, l’arbre qui jette une nouvelle tige puissante, quand on en a coupé la branche pourrie, dont la sève empoisonnée jaunissait les feuilles.
Dans un sanglot, Jean répéta :
- Adieu !
Henriette ne releva pas la tête, la face cachée entre ses deux mains jointes.
- Adieu !
Le champ ravagé était en friche, la maison brulée était par terre ; et Jean, le plus humble et le plus douloureux, s’en alla, marchant à l’avenir, à la grande et rude besogne de toute une France à reconstruire.
Extrait du roman : Travail
L’œuvre en était à cette heure angoissante et décisive de la régression, du pas en arrière. Dans toute marche en avant, vient cette heure de la lutte, de la halte forcée. On n’avance plus, on recule même, les terrains acquis paraissent crouler, il semble que jamais plus on n’atteindra le but. Et c’est l’heure ou les héros s’affirment avec leur fermeté d’âme, leur indomptable foi dans la victoire finale.
Extrait de la nouvelle : Pour une nuit d'Amour
Pendant des soirées entières, Julien jouait de la flûte, et c’était là, par-dessus tout, sa grande récréation. (…)
Depuis six mois seulement, il se risquait à jouer, les croisées ouvertes. Il ne savait que des airs anciens, lents et simples, des romances du siècle dernier, qui prenait une tendresse infinie, lorsqu’il les bégayait avec la maladresse d’un élève plein d’émotion. Dans les soirées tièdes, quand le quartier dormait, et que ce chant léger sortait de la grande pièce éclairée d’une bougie, on aurait dit une voix d’amour, tremblante et basse, qui confiait à la solitude et à la nuit ce qu’elle n’aurait jamais dit au plein jour. Souvent même, comme il savait les airs de mémoire, Julien soufflait sa lumière, par économie.
Du reste, il aimait l’obscurité. Alors, assis devant une fenêtre, en face du ciel, il jouait dans le noir. Des passants levaient la tête, cherchaient d’où venait cette musique si frêle et si jolie, pareilles aux roulades lointaines d’un rossignol. La vieille flûte de bois jaune était un peu fêlée, ce qui lui donnait un son voilé, le filet de voix adorable d’une marquise d’autrefois, chantant encore très purement les menuets de sa jeunesse. Une à une, les notes s’envolaient avec leur petit bruit d’ailes. Il semblait que le chant vînt de la nuit elle-même, tant il se mêlait aux souffles discrets de l’ombre.
Extrait du roman : L’Argent
Lorsqu'elle fut au boulevard, madame Caroline tourna à gauche, ralentit le pas, au milieu de l'animation de la foule. Un instant, elle s'arrêta devant une petite voiture, pleine de bottes de lilas et de giroflées, dont le parfum l'enveloppa d'une bouffée de printemps. Et, maintenant, en elle, tandis qu'elle reprenait sa marche, le flot de la joie montait, comme une source bouillonnante, qu'elle aurait tenté vainement d'arrêter, de boucher avec ses deux mains. Elle avait compris, elle ne voulait pas . Non, non ! les affreuses catastrophes étaient trop récentes, elle ne pouvait être gaie, s'abandonner à ce jaillissement d'éternelle vie qui la soulevait. Et elle s'efforçait de garder son deuil, elle se rappelait au désespoir par tant de souvenirs cruels. Quoi? elle aurait ri encore, après l'écroulement de tout, une si effrayante somme de misères! Oubliait-elle qu'elle était complice? et elle se citait les faits, celui-ci, celui-là, cet autre, qu'elle aurait dû mettre tout son nreste d'existence à pleurer. Mais, entre ses doigts serrés sur son coeur, le bouillonnement de sève devenait plus impétueux, la source de vie débordait, écartait les obstacles pour couler librement, en rejetant les épaves aux deux bords, claire et triomphante sous le soleil.
Dès ce moment, vaincue, madame Caroline dut s'abandonner à la force irrésistible du continuel rajeunissement. Comme elle le disait en riant parfois, elle ne pouvait être triste. L'épreuve était faite, elle venait de toucher le fond du désespoir, et voici que l'espoir ressuscitait de nouveau, brisé, ensanglanté, mais vivace quand même, plus large de minute en minute. Certes, aucune illusion ne lui restait, la vie était décidément injuste et ignoble comme la nature. Pourquoi donc cette déraison de l'aimer, de la vouloir, de compter, ainsi que l'enfant à qui l'on promet un plaisir toujours différé, sur le but lointain et inconnu vers lequel, sans fin, elle nous conduit? Puis, lorsqu'elle tourna dans la rue de la Chaussée d'Antin, elle ne raisonna même plus; philosophe, en elle, la savante, la lettrée abdiquait, fatiguée de l'inutile recherche des causes; elle n'était plus qu'une créature heureuse du beau ciel et de l'air doux, goûtant l'unique jouissance de se bien porter, d'entendre ses petits pieds fermes battre le trottoir. Ah! la joie d'être, est-ce qu'au fond il en existe une autre? La vie telle qu'elle est, dans sa force, si abominable qu'elle soit, avec son éternel espoir!
Extrait du roman : Fécondité
Et brusquement Mathieu, après quelques minutes de rêverie, se mit à parler, comme s’il trouvait enfin l’explication décisive, la réponse à toutes sortes de questions graves qui se posaient depuis longtemps en lui.
« Mais ces gens là n’aiment pas, mais ils sont incapables d’aimer ! L’argent, l’ambition, le plaisir oui ! ils peuvent ces choses mais ils ne peuvent pas l’amour ! Ils n’ont jamais brûlé du grand désir, du divin désir qui est l’âme du monde, le brasier d’éternelle existence. Et cela explique tout. Qui n’a pas le désir, qui n’a pas l’amour, est sans courage et sans force. On n’enfante, on ne crée que par l’amour. Voilà donc la vérité que je cherchais ! C’est le désir ; c’est l’amour qui sauvent. Qui aimera, qui enfantera, qui créera, est le sauveur révolutionnaire, le faiseur d’hommes pour le monde qui va naître. »
Jamais il n’avait si nettement compris que leur ménage, que sa femme et lui étaient autres. Cela le frappait, à cette minute, avec une évidence, un éclat extraordinaire ; et des comparaisons s’imposaient, et leur existence si simple, dégagée de l’âpre souci de l’argent, leur dédain du luxe, des vanités mondaines, toute leur action commune mise dans le travail, dans la vie acceptée, enfantée, glorifiée, toute cette façon d’être qui faisait leur joie et leur force ne jaillissait que de la source d’éternelle énergie, de l’amour dont le divin désir les embrasait.
Extrait du roman : Paris
Marie eut un léger cri d'admiration, montrant Paris du geste.
"Voyez donc! Voyez donc! Paris tout en or, Paris couverte de sa moisson d'or!"
Chacun s'exclama car l'effet était vraiment d'une extraordinaire magnificence, cet effet que Pierre avait déjà remarqué, le soleil oblique noyant l'immensité de Paris d'une poussière d'or. Mais, cette fois, ce n'étaient plus semailles, le chaos des toitures et des monuments tel qu'une brune terre de labour, défrichée par quelque charrue géante, le divin soleil jetant à poignées ses rayons, pareils à des grains d'or, dont les volées s'abattaient de toutes parts. Et ce n'était pas non plus la ville avec ses quartiers distincts, à l'est les quartiers du travail embrumés de fumées grises, au sud ceux des études d'une sérénité lointaine, à l'ouest les quartiers riches, larges et clairs, au centre les quartiers marchands, aux rues sombres. Au centre les quartiers marchands, aux rues sombres. Il semblait qu'une même poussée de vie, qu'une même floraison avait recouvert la ville entière, l'harmonisant, n'en faisant qu'un même champ sans bornes, couvert de la même fécondité. Du blé, du blé, partout, un infini de blé dont la boule d'or roulait d'un bout de l'horizon à l'autre. Et le soleil oblique baignait ainsi Paris entier d'un égal resplendissement, et c'était bien la moisson, après les semailles.
"Voyez donc! Voyez donc! reprit Marie, pas un coin qui ne porte sa gerbe, jusqu'au plus humbles toitures qui sont fécondes, et partout la même richesse d'épis, comme s'il n'y avait plus là qu'une même terre, réconciliée et fraternelle... Ah! mon Jean, mon petit Jean regarde, regarde comme c'est beau!"
Pierre frémissant était venu se serrer contre elle. Et Mère-Grand souriait, ainsi que Bertheroy, à tout cet avenir qu'ils ne verraient pas; tandis que, derrière Guillaume attendri, les trois grand fils, les trois colosses, restaient graves, en plein labeur et en plein espoir.
Alors Marie, d'un beau geste d'enthousiasme, leva son enfant très haut, au bout de ses deux bras, l'offrit à Paris immense, le lui donna en auguste cadeau.
"Tiens, Jean, tiens! mon petit, c'est toi qui moissonneras tout ça et qui mettras la récolte en grange!"
Paris flambait, ensemencé de lumière par le divin soleil, roulant dans sa gloire la moisson future de vérité et de justice.
Zola et l'Energie Primordiale
Dans son roman Paris, Zola évoquait déjà « la Force invisible et consciente ». Voici ce que l'on découvre dans son roman Travail :
« Telle est l’unique loi de la vie, qui n’est en somme que la matière en travail, une force en perpétuelle activité, le dieu de toutes les religions, pour l’œuvre finale du bonheur dont nous portons en nous l’impérieux besoin. »